A Livry, ce mardi saint 24e mars 1671.
Il y a trois heures que je suis ici, ma pauvre bonne. Je suis partie (...) dans le dessein de me retirer ici du monde et du bruit jusqu'à jeudi au soir. (...) Mais, ma pauvre bonne, ce que je ferai beaucoup mieux que tout cela, c'est de penser à vous. Je n'ai pas encore cessé depuis que je suis arrivée, et ne pouvant tenir tous mes sentiments, je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siège de mousse où je vous ai vue quelquefois couchée. Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le coeur? Il n'y a point d'endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans le jardin, où je ne vous ai vue; il n'y en a point qui ne me fasse souvenir de quelque chose de quelque manière que ce soit; et de quelque façon que ce soit aussi, cela me perce le coeur. Je vous vois, vous m'êtes présente; je pense et repense à tout; ma tête et mon esprit se creusent : mais j'ai beau tourner, j'ai beau chercher; cette chère enfant que j'aime avec tant de passion est à deux cent lieues de moi : je ne l'ai plus. Sur cela je pleure sans pouvoir m'en empêcher; je n'en puis plus(...)"
Madame de Sévigné (à Madame de Grignan, sa fille)
Peut-on pleurer un animal très aimé comme l'on pleure sur l'absence de sa fille?
Le chemin de croix de l'amour maternel qu'accomplit Marie de Sévigné à Livry, où les lieux familiers chargés de souvenirs deviennent autant de "stations" crucifiantes, je le fais moi aussi pour Cannelle ma petite chatte, ma "fille", ma beauté, mon feu follet, morte contre moi le 23 mai.
Harcelée, tourmentée par une mémoire fidèle mais qui ne restitue aucune bienheureuse illusion, Madame de Sévigné ne peut plus que ressasser sa souffrance jusqu'au vertige. "je pense et repense à tout". La mémoire involontaire, surgit dans les lieux du bonheur passé, mais elle en marque la fin, l'impossibilité de se consoler et le crève-coeur de se heurter partout aux signes de la dépossession.
adieu, mon coeur. |
sept ans déjà, elle me manque toujours autant.
RépondreSupprimer10 ans ma beauté, tu me manques toujours,
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