Je fus tirée de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel, (…) et transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui; mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la recherche de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. (…)
François-René de Chateaubriand
Mémoires d'Outre-Tombe, III, 1
Le chant de la grive suscite chez Chateaubriand une méditation sur la fuite du temps qui repose sur l'expérience de la vie. C'est la distance entre deux âges que révèle soudain à la conscience de l'écrivain la mémoire affective, qui involontairement ressuscite le passé.
C'est ce même oiseau, symbolique de l'automne et des vendanges, qui sert de médiateur dans le long poème méditatif de Mas-felipe Delavouët Chanson de la plus Haute Tour
I
"Pour sûr, - dit le Prince - on cueille le raisin
et les enfants lampent le moût frais au tonneau,
mais cela dit l'été et sa pompeuse fin!
Seul le cri de la grive annoncera l'automne
lorsque, un soir ennuagé,
pour le temps d'un soupir, l'oiseau naîtra du ciel.
Du fond des heures mortes, j'entends son cri aigu
qui m'appelle et me pousse à la plus haute tour.
Quand l'archer voit la lune au-dessus des créneaux,
l'oiseau glisse soudain aux fentes des nuages
et, comme pierre dans le puits,
aux rives de mon coeur, jette ses éclaboussures.
Ah! s'éclaircisse l'eau autour de cet enfant
et vienne un soir ancien à la pointe des remparts
apporter dans ses nuages déchirés de vent
la grive sans renom et pourtant légendaire
qui d'un seul cri élargissait
et ses ailes et le soir jusqu'où l'astre luisait.
Ô lune dans le vent comme cible vibrante,
le cri tinte sur toi et remplit l'ombre ronde
d'autant de clairs échos que, lune, tu as de reflets!
Ainsi plus de vingt fois l'enfant faisant sa ronde
solitaire sur le sommeil des hommes,
entendit la grive amie qui appelait l'automne.
Coeur en forme d'oiseau, autour de toi la poitrine et ses arceaux
agrandissent à l'infini leurs nervures fines
jusqu'au réseau des absides du ciel :
le vent pousse, au hasard, la lumière et les ombres
et passent à travers moi
la lune toute claire et les nuages sombres. "
Cansoun de la mai auto Tourre VII, 1